vendredi 18 janvier 2013

Tristesse animal noir m-e-s Stanislas Nordey



J'ai un peu de temps pour moi, enfin! Un, deux, trois jours, c'est tout, et je me rends compte que ma bouche et ma tête sont pleines de mots, de mots qui n'étaient pas là hier soir quand j'essayais de me remettre de la fatigue, quand j'essayais de me remettre d'une forme de dégoût qui ne m'arrangeait pas.
Aujourd'hui je me dis, voilà tu as trois jours pour écrire, pour te remettre à ton roman de science fiction bizarre, ta sorte de roman délirant qui explore la réalité psychique de naufragés de l'espace. J'épelle ces mots comme s'il s'agissait d'un pitch, d'une nouvelle vision de Projet: sleeping beauty et je me dis que ça a un goût de déjà vu.
Hier soir je suis allée au théâtre voir Tristesse animal noir de Anja Hilling, mis en scène par Stanislas Nordey, avec au casting Valérie Dréville.
Deux ou trois réflexions que je me fais sur le théâtre ces derniers temps:
d'abord le texte théâtrale est devenu romanesque, je veux dire par là qu'il est passé des conversations et des dialogues à une forme de narration où les échanges entre acteurs se font rares. Chacun se place face au public et parle sur un ton souvent monocorde pour que le texte soit entendu, et le texte est entendu, et le texte et beau et bien écrit, mais je reste froide et de marbre, presqu'un peu ennuyée qu'on veuille m'émouvoir sans se rapprocher de moi.
Une autre chose les personnages nous sont distants, pas seulement dans l'espace, mais aussi souvent quand se sont des personnages construits, je veux dire quand ils ne sont pas seulement les véhicules d'un texte, ils sont méprisables.
Dans tristesse animal noir, ces personnages sont des bobos, ça n'est pas moi qui le dit, je m'en fou des soit-disant catégories sociales des journalistes, c'est la présentation de la pièce sur le site de la Colline. Donc les personnages sont des bobos qui par temps de sécheresse vont faire un barbecue au milieu d'une forêt, et bien entendu la forêt va prendre feu...
Comme c'est inscrit dans le texte, cette évidence que la forêt va prendre feu, et que toute personne un peu éduquée sait qu'on allume pas une cigarette dans une forêt par temps de sécheresse, dès le début je n'aime pas les personnages, juste à cause de ça.
La forêt pour moi c'est quelque chose d'abstrait et je ne m'avancerais pas à lui trouver une qualité particulière qui m'y attacherait de façon subjective, j'ai probablement trop lu de contes de fée ( je ne dis même pas quand j'étais enfant, puisque je continu à en lire) pour ne pas laisser vivre la forêt sans moi, et si enfant j'ai vécu à la campagne, je ne suis jamais allée plus loin que la lisière des bois qui entouraient mon village, la forêt est pour moi synonyme de forclusion, je la respecte, mais je ne l'aborde pas ni par le mental, ni par le physique, je suis une fille des villes, et des mers.
Ma troisième réflexion donc en dehors du fait que les textes théâtraux contemporains sont narratifs et que les acteurs ne jouent pas vraiment ensemble ( ce qui me paraît être extrêmement pragmatique étant donné le temps de répétition pour offrir un travail fini et correct) c'est que les mises en scène semblent toutes utiliser les mêmes systèmes, les arrangeant de manière différentes, mais une grande similitude semble de mise. Par exemple hier soir, alors que je regardais la cendre tomber sur scène et que c'était plutôt très beau , je repensais au sable qui avait coulé sur scène dans la sublime mise en scène des troyennes que j'avais vu à Londres au National Theatre en 2008. La différence majeure entre les troyennes et Tristesse animal noir, c'est que pour les troyennes je sanglotais et que j'étais prise aux tripes alors que pour le pièce d'hier soir, j'étais seulement mal à l'aise d'avoir à être témoin de la mise à sac d'une forêt par des personnages que j'avais du mal à ne pas mépriser. À un moment je me suis dis « tiens, il n'y a pas encore eu de vidéoprojection » et quand il y a enfin eut vidéoprojection, j'ai pensé qu'on pourrait aussi faire un bingo de la mise-en-scène contemporaine comme on en fait un de la fête de la musique, du 31 décembre etc.
Je n'ai rien à reprocher au travail de Stanislas Nordey (je me suis même souvenue avoir lu qu'il aimait mieux une forêt artificielle de théâtre, qu'une vraie forêt, et j'y ai pensé en voyant le décor peint de la forêt), il a fait un bon travail, les acteurs sont bon, et la pièce est un beau texte, c'est un bon travail, oui c'est un bon travail. Je n'en sors pas indemne: je suis mal à l'aise. Mais finalement n'est-ce pas ce que cherche le bourgeois qui va maintenant au théâtre repartir avec une sorte de malaise, ou bien d'aise d'avoir vu des personnages plus méprisables que lui, car lui n'irait pas par temps de sécheresse faire un barbecue en forêt, même pour se donner de la matière créative? Car l'idée de l'incendie vécu de l'intérieur est brillante.
Peut-être que mon attente vis-à-vis du théâtre surtout s'il est dramatique est très classique, j'en attends une sorte de catharsis, une inspiration. Finalement il serait peut-être plus révolutionnaire désormais d'explorer la joie que la honte et la peine... Je ne sais pas. Ce que je sais c'est que je ne peux pas non plus revenir à un théâtre plus classique, en novembre j'ai vu Les trois soeurs, à la MC93, mis en scène par le grand Lev Dodine, avec une exploration, une compréhension du texte magnifique, des acteurs qui jouent ensemble à la perfection, et j'étais très émue, mais je n'avais pas l'excitation intellectuelle qu'à pu me donner la dame aux camélias l'an dernier, en fait voilà, je ne peux plus revenir à une forme de théâtre classique et disons dialoguée, mais je sature un peu aussi sur le ton monocorde des acteurs qui se placent face au public et nous servent la narration, ou peut-être n'est-ce pas une saturation, peut-être que cela tient juste à quelque chose qui manquerait ou qui serait en trop et sur lequel je n'ai pas mis le doigt dans Tristesse animal noir.
Je ne me suis pas ennuyée, je n'ai pas été déçue, les acteurs étaient bons, le décor était beau ( sauf le cheval en carton-pâte gris et la littéralité du décor dans la dernière partie) le texte est très beau, très bien écrit mais je n'ai pas été transcendée. Je me suis dis: « voilà, avant de mettre un texte en scène, on devrait se demander ce qu'on veut provoquer chez le spectateur, ce qu'on veut faire passer, l'idée qu'il faut lui transmettre ». Je dirais que si c'est vouloir choquer, c'est finalement très dépassé, du moins pour moi, et j'ai pu faire mon auto-critique que lorsque je voulais monter Bash de Niel LaBute, je ne savais pas ce que je voulais transmettre au spectateur, que je voulais juste égoïstement voir le texte telle que je le sentais dans ses possibles... je ne suis pas allée jusque là, mais en voyant Tristesse animal noir, je me dis que je serais probablement seulement arrivée à créer un malaise ou un sentiment de satisfaction intellectuelle venue de l'écoute d'un beau et bon texte. Finalement un projet pour lequel on aurait envie de transmettre quelque chose de précis et de fort au spectateur on ne peut pas en avoir un tous les ans, et il est presque absurde qu'un metteur-en-scène puisse faire une pièce, voir plusieurs par années... dans un sens le travail des russes de Lev Dodine fait plus sens, justement parce qu'ils passent plusieurs années à travailler une même pièce et qu'après ils la jouent pendant des décennies. Alors moins de pièces, mais mieux?

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