J'ai un peu
de temps pour moi, enfin! Un, deux, trois jours, c'est tout, et je me
rends compte que ma bouche et ma tête sont pleines de mots, de mots
qui n'étaient pas là hier soir quand j'essayais de me remettre de
la fatigue, quand j'essayais de me remettre d'une forme de dégoût
qui ne m'arrangeait pas.
Aujourd'hui
je me dis, voilà tu as trois jours pour écrire, pour te remettre à
ton roman de science fiction bizarre, ta sorte de roman délirant qui
explore la réalité psychique de naufragés de l'espace. J'épelle
ces mots comme s'il s'agissait d'un pitch, d'une nouvelle vision de
Projet: sleeping beauty et je me dis que ça a un goût
de déjà vu.
Hier soir je
suis allée au théâtre voir Tristesse animal noir de
Anja Hilling, mis en scène par Stanislas Nordey, avec
au casting Valérie Dréville.
Deux ou
trois réflexions que je me fais sur le théâtre ces derniers temps:
d'abord le
texte théâtrale est devenu romanesque, je veux dire par là qu'il
est passé des conversations et des dialogues à une forme de
narration où les échanges entre acteurs se font rares. Chacun
se place face au public et parle sur un ton souvent monocorde pour
que le texte soit entendu, et le texte est entendu, et le texte et
beau et bien écrit, mais je reste froide et de marbre, presqu'un peu
ennuyée qu'on veuille m'émouvoir sans se rapprocher de moi.
Une autre
chose les personnages nous sont distants, pas seulement dans
l'espace, mais aussi souvent quand se sont des personnages
construits, je veux dire quand ils ne sont pas seulement les
véhicules d'un texte, ils sont méprisables.
Dans
tristesse animal noir, ces personnages sont des bobos,
ça n'est pas moi qui le dit, je m'en fou des soit-disant catégories
sociales des journalistes, c'est la présentation de la pièce sur le
site de la Colline. Donc les personnages sont des bobos qui par
temps de sécheresse vont faire un barbecue au milieu d'une forêt,
et bien entendu la forêt va prendre feu...
Comme c'est
inscrit dans le texte, cette évidence que la forêt va prendre feu,
et que toute personne un peu éduquée sait qu'on allume pas une
cigarette dans une forêt par temps de sécheresse, dès le début je
n'aime pas les personnages, juste à cause de ça.
La forêt
pour moi c'est quelque chose d'abstrait et je ne m'avancerais pas à
lui trouver une qualité particulière qui m'y attacherait de façon
subjective, j'ai probablement trop lu de contes de fée ( je ne dis
même pas quand j'étais enfant, puisque je continu à en lire) pour
ne pas laisser vivre la forêt sans moi, et si enfant j'ai vécu à
la campagne, je ne suis jamais allée plus loin que la lisière des
bois qui entouraient mon village, la forêt est pour moi synonyme de
forclusion, je la respecte, mais je ne l'aborde pas ni par le mental,
ni par le physique, je suis une fille des villes, et des mers.
Ma
troisième réflexion donc en dehors du fait que les textes
théâtraux contemporains sont narratifs et que les acteurs ne jouent
pas vraiment ensemble ( ce qui me paraît être extrêmement
pragmatique étant donné le temps de répétition pour offrir un
travail fini et correct) c'est que les mises en scène semblent
toutes utiliser les mêmes systèmes, les arrangeant de manière
différentes, mais une grande similitude semble de mise. Par exemple
hier soir, alors que je regardais la cendre tomber sur scène et que
c'était plutôt très beau , je repensais au sable qui avait coulé
sur scène dans la sublime mise en scène des troyennes
que j'avais vu à Londres au National Theatre en 2008. La
différence majeure entre les troyennes et Tristesse
animal noir, c'est que pour les troyennes je
sanglotais et que j'étais prise aux tripes alors que pour le pièce
d'hier soir, j'étais seulement mal à l'aise d'avoir à être témoin
de la mise à sac d'une forêt par des personnages que j'avais du
mal à ne pas mépriser. À un moment je me suis dis « tiens,
il n'y a pas encore eu de vidéoprojection » et quand il y a
enfin eut vidéoprojection, j'ai pensé qu'on pourrait aussi faire un bingo de la mise-en-scène contemporaine comme on en fait un de
la fête de la musique, du 31 décembre etc.
Je n'ai rien
à reprocher au travail de Stanislas Nordey (je me suis même
souvenue avoir lu qu'il aimait mieux une forêt artificielle de
théâtre, qu'une vraie forêt, et j'y ai pensé en voyant le décor
peint de la forêt), il a fait un bon travail, les acteurs sont bon,
et la pièce est un beau texte, c'est un bon travail, oui c'est un
bon travail. Je n'en sors pas indemne: je suis mal à l'aise. Mais
finalement n'est-ce pas ce que cherche le bourgeois qui va maintenant
au théâtre repartir avec une sorte de malaise, ou bien d'aise
d'avoir vu des personnages plus méprisables que lui, car lui n'irait
pas par temps de sécheresse faire un barbecue en forêt, même pour
se donner de la matière créative? Car l'idée de l'incendie vécu
de l'intérieur est brillante.
Peut-être
que mon attente vis-à-vis du théâtre surtout s'il est dramatique
est très classique, j'en attends une sorte de catharsis, une
inspiration. Finalement il serait peut-être plus révolutionnaire
désormais d'explorer la joie que la honte et la peine... Je ne sais
pas. Ce que je sais c'est que je ne peux pas non plus revenir à un
théâtre plus classique, en novembre j'ai vu Les trois soeurs,
à la MC93, mis en scène par le grand Lev Dodine, avec
une exploration, une compréhension du texte magnifique, des acteurs
qui jouent ensemble à la perfection, et j'étais très émue, mais
je n'avais pas l'excitation intellectuelle qu'à pu me donner la
dame aux camélias l'an dernier, en fait voilà, je ne
peux plus revenir à une forme de théâtre classique et disons
dialoguée, mais je sature un peu aussi sur le ton monocorde des
acteurs qui se placent face au public et nous servent la
narration, ou peut-être n'est-ce pas une saturation, peut-être que
cela tient juste à quelque chose qui manquerait ou qui serait en
trop et sur lequel je n'ai pas mis le doigt dans Tristesse
animal noir.
Je ne me
suis pas ennuyée, je n'ai pas été déçue, les acteurs étaient
bons, le décor était beau ( sauf le cheval en carton-pâte gris et
la littéralité du décor dans la dernière partie) le texte est
très beau, très bien écrit mais je n'ai pas été transcendée. Je
me suis dis: « voilà, avant de mettre un texte en scène, on
devrait se demander ce qu'on veut provoquer chez le spectateur, ce
qu'on veut faire passer, l'idée qu'il faut lui transmettre ».
Je dirais que si c'est vouloir choquer, c'est finalement très
dépassé, du moins pour moi, et j'ai pu faire mon auto-critique
que lorsque je voulais monter Bash de Niel LaBute,
je ne savais pas ce que je voulais transmettre au spectateur, que je
voulais juste égoïstement voir le texte telle que je le sentais
dans ses possibles... je ne suis pas allée jusque là, mais en
voyant Tristesse animal noir, je me dis que je serais
probablement seulement arrivée à créer un malaise ou un sentiment
de satisfaction intellectuelle venue de l'écoute d'un beau et bon
texte. Finalement un projet pour lequel on aurait envie de
transmettre quelque chose de précis et de fort au spectateur on ne
peut pas en avoir un tous les ans, et il est presque absurde
qu'un metteur-en-scène puisse faire une pièce, voir plusieurs par
années... dans un sens le travail des russes de Lev Dodine
fait plus sens, justement parce qu'ils passent plusieurs années à
travailler une même pièce et qu'après ils la jouent pendant des
décennies. Alors moins de pièces, mais mieux?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire