vendredi 16 août 2013

Zombie Fashion Week ( épisode 10 de Des zombies dans le RER)

Retrouvez ici les épisodes undeuxtroisquatrecinqsix  SeptHuit et Neuf

 Dans l'obscurité, s'entraînait la dizaine d'usagers équipée de matériel d'escrime. C'était Holden qui menait le ballet : « l'avantage que nous avons avec l'escrime c'est que nous pouvons garder une certaine distance de sécurité avec l'ennemi. Le bras gauche, ou le bras droit si tu es gaucher, reste en arrière, le bras droit plié vers toi, et là tu l'étends, et tu vises entre les deux yeux, et tu forces suffisamment pour percer le crâne de ces saloperies, Tchak, en garde...»
Et la lumière fut !
Il fallu quelques secondes aux yeux des voyageurs pour se réhabituer à la luminosité, et ces quelques secondes de pause de pensées et de visions furent interrompues par les hurlements de surprise et de peur des voyageurs : les vitres étaient couvertes des visages de zombies, qui excités par la lumière et les hurlements se mirent à grogner, à taper, à grouiller plus intensément et surtout à essayer de pénétrer dans le train. Ces êtres décharnés au regard vide et blanc dont les mâchoires semblaient mastiquer sans fin poussaient et cognaient sur les vitres et les portes. Le bruit était intolérable, et ne laissait pas d'espace de pensée. Les escrimeurs se tenaient en cercle tournés vers l'extérieur et en garde pour être prêts à défoncer les monstres, les autres voyageurs s'étaient éloignés des vitres, on avait pris soin de poser des mains sur les bouches des hurleurs et des hurleuses afin de les faire taire, et de calmer si possible l'excitation des morts-vivants. Les costauds étaient près des portes, afin de les maintenir fermée, car si un écoulement se produisait dans le flux des zombies, les humains de ce wagon seraient perdus. Il s'agissait de tenir le siège.
Gloria, pour la première fois, prenait le temps d'observer ses ennemis. Elle les avait visualisés comme des squelettes reconstitués des cimetières souterrains et ancestraux de Paris mais la plupart d'entre eux étaient des cadavres à peu près frais. Elle reconnaissait les cadres moyens du RER qui malgré leurs membres décharnés portaient encore leur chemisette bleu ciel parfaitement amidonnée au pli de la manche, les secrétaires administratives avec leurs lunettes sans bord aux branches métalliques colorés avec leur coupe de catalogue de coiffeur des années 90 et leur pendants qui commençaient à accélérer le déclin de leurs lobes d'oreilles, les jeunes-hommes qui hier encore trempaient leurs cheveux dans le gel et leur corps dans l'Axe portaient des chemises moulantes à couleurs douteuses et inscription en anglais, et laissaient sous des jeans délavés et mal coupés apparaître leurs fessier dans des calbutes moulants Calvin Klein, les doudous africaines et les blédards en costume trois pièce violets, les touristes à bermuda, maillot de foot et croks... Elle pouvait encore reconnaître la population du RER B à son style vestimentaire et son caractère d'urgence demandant action immédiate de la part de la police de la mode... les vêtements n'avaient pas changé, ce qui avait changé c'étaient les corps. Damia chantait : « sous la chemise, il y a la peau » nous rappelant que sous l'absurdité du costume comme rôle social et comme seconde peau que nous portons il y a notre sensualité, notre animalité et une humanité plus profonde qui vit de peau à peau avec les autres, les proches et le monde des sens, mais maintenant il n'y avait plus de peau sous les vêtements. Il y avait des chairs à vif et en putréfaction, des ongles qui glissant contre les vitres se brisaient et restaient là, les bouts de derme tombaient comme de la pluie, et les cadavres en marche semblaient se délester de leur trop-plein de vie se vidant de leur sang désormais inutile.
Holden claqua des doigts devant les yeux de Gloria perdue dans sa contemplation du spectacle de la déchéance. Elle sursauta, et le regarda. Il lui fit signe de tourner sa tête vers la gauche... les portes qui connectaient les wagons ensemble étaient en train de s'ouvrir. Holden et Gloria se mirent en garde, quand venant de l'ouverture parvint une voix tonitruante qui gueula « Contrôle des tickets! ». Gloria mis sa main sur sa fesse gauche là où se trouvait habituellement dans ses jeans son pass navigo, mais elle avait oublié qu'elle s'était changée, et pensa ô horreur absolue, qu'elle l'avait laissé dans son pantalon ensanglanté sous le siège de la précédente voiture. Plus que les zombies, cette pensée lui donna un instant des sueurs froides... les zombies, à la rigueur, elle pouvait les défoncer tandis que les contrôleurs lui feraient 1: payer une amende et 2 : il faudrait qu'elle se rachète un pass vu qu'elle n'avait pas pris la version intégrale pour ne pas être fichée dans ses mouvements par la RATP, la SNCF, les services secrets français, et maintenant on le savait grâce à Snowden par la CIA ou la NSA, elle ne savait plus. 
Le contrôleur qui pénétra avec son pantalon carotte en tweed vert kaki et sa chemisette ridicule eut un mouvement de recul voyant Holden armé et prêt à tuer, et ce mouvement de recul fût sa perte, car ses collègues derrière lui: la fille à dread locks avec sa chemise mal ajustée à cause de ses trop grosses épaulettes, le gros black dont le ventre faisait exploser les boutons de sa chemisette, la vieille au cheveux violets en brosse (coiffure originairement attribuée aux fleurs d'artichauts), et le petit mec de cinquante balais avec son armée d'accessoires de ceinture et de porte-clefs, eux avaient été zombifiés, donc ils l'attrapèrent et le mordirent aux épaules. Du moins deux d'entre-eux, les autres avançaient, toujours aussi organisés que pour contrôler les tickets, mais cette fois ils étaient là pour manger des cerveaux.
Holden connaissait ses classiques francophones et en dépliant le bras pour porter le premier coup fatal à la contrôleuse rastafarienne il dit «Et à la fin de l'envoi je touche» tchak ! Elle s'écroula, et autant que faire se peut Lisa et Gloria imitèrent Holden pour se débarrasser à la fois de la victime et de ses deux agresseurs, pendant qu'Holden se chargeait des cibles plus mouvantes. Lisa dont le sang froid et la capacité d'action ne cessaient d'épater ses partenaires «c'est l'adrénaline ! » avait profité de l'ouverture des portes pour jeter un oeil derrière le groupe de zombies kakis. Et c'est la larme à l'oeil qu'elle put bien remarquer que le prochain cercle de l'enfer qu'elles voulaient traverser avait été décimé et rendu grouillant par le petit groupe d'hommes et de femmes de la RATP. « Quand on en aura fini avec ceux-là faudra que tu te plaigne à la RATP que les contrôleurs ont essayé de nous bouffer ! ». Ils n'avaient pas sitôt refermé les portes et repoussé les agents au purgatoire des wagons que c'étaient les portes de l'autre côté qui s'ouvraient pour laisser passer un zombie probablement d'un millésime moins contemporain car il portait des cuissardes de cavalier, sur pantalon jodhpurs et chemise de lin. Impeccablement stylé bien qu'intensément décomposé, il avait un monocle vissé à celui de ses yeux qui ne pendouillait pas et une petite moustache à la Clark Gable. Lisa poussa un cri du coeur : 
« Oh My God ! Un zombie vintage! »

Et toujours: merci à Marie Minute dont vous devez découvrir le formidable blog, pour sa relecture attentive de ma prose.
Liste des épisodes parus : undeuxtroisquatrecinqsix  SeptHuitNeuf et Dix




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