dimanche 11 décembre 2011

Golgota Picnic, Rodrigo Garcia



À une heure vingt du matin, pas de chien qui pleure, ni d'ailleurs de RER, même si c'est samedi, je suis rentrée en bus.
Cela s'appelle, syndrome de Cendrillon, il faut rentrer avant minuit sinon le carrosse ( le RER) se transforme en citrouille, donc la vie de banlieue devient vite monastique!

Cher père noël en plus de la batte de baseball je voudrais gagner suffisamment bien ma vie, pour que ma condamnation à une éternité d'ennui cesse et que je puisse rentrer Intra-muros.
Je suis allée au théâtre hier soir. Ça n'est pas un événement en soi je vais assez régulièrement au théâtre, mais là je suis allée voir la pièce qui fait l'actualité: Golgota Picnic.
Le théâtre du Rond-Point je vous le rappelle se trouve sur les Champs Elysées où il y un marché à touristes à l'heure actuelle, plus des illuminations qui attirent une foule plutôt lente et pas trop réactive donc avant de respirer le bon air de Paris il a fallu que je sorte vivante de la ligne 1 complétement blindée. En prime je me suis fait tripoté les fesses. Une fois c'est le hasard, mais deux non! je me suis retournée, pour que le vieux saligot d'un mètre Cinquante arrête, je l'ai regardé dans les yeux du style « si tu recommences c'est mon poing dans la gueule, j'ai mal au bras mais je te louperais pas » je pense qu'il a su lire dans mes yeux vu qu'il a disparu à l'arrêt suivant.
Ce n'est pas possible d'être une femme dans cette ville, on n'a jamais la paix, il faut toujours faire attention. Et ne me parlez pas de caractère latin ou d'autres conneries. Vous croyez que les femmes n'ont pas de désir et qu'elles n'ont pas non plus envie de tripoter, et bien vous vous trompez! Mais nous on se retient on ne croit pas, ou plutôt on sait, que les personnes sur lesquelles on pose nos yeux ne sont pas nôtres. Non mais oh! Connard de merde!

Donc je me sors de ce dédale de touristes bêtas et devant le théâtre il y a déjà un certain nombres de cars de CRS. Je suis arrivée tôt alors il n'y avait pas encore grand monde. Dans la rue je dois passer un premier contrôle. On me demande quel spectacle je vais voir «Golgota picnic», et on vérifie mon nom sur la liste. La tension est palpable. J'avoue être toujours amusée et attirée par un certain état d'anarchie, mais j'ai senti immédiatement que l'affaire n'était pas du tout prise à la rigolade.
Le premier contrôle passé l'entrée du théâtre est divisée en deux, deux pancartes, l'une indique Femmes, l'autre Hommes. Un sexagénaire branché me demande sur un air ironique si ce sont les toilettes, je lui dis que c'est surement pour la fouille. ( j'ai fait une mission d'intérim comme ça où je fouillais les gens à l'entrée d'un concert . ).

Bref j'attends J. mais elle me prévient qu'elle est à la bourre donc je rentre, et j'avais raison: fouille.
J'erre un peu dans le hall qui se remplit. J'aime beaucoup le théâtre du rond-point, le lieu est chaleureux, chic mais ouvert, la programmation montre des pièces en accord avec l'actualité, et l'avant-garde de la création théâtrale. Mon amie Neige qui rédige le blog de théâtre Neige à Tokyo, pense que nous sommes dans une ère de renouvellement théâtral et que beaucoup de choses excitantes notamment à Gennevilliers, à la Ménagerie de verre et au Rond-point se passent.
Dans le théâtre des messages slogan ( pas vraiment ma forme de communication préférée) insistent sur le fait que le droit de penser et de réfléchir est aussi important que la foi.
Une deuxième fouille et un troisième barrage puis nous entrons dans la magnifique salle Renaud-Barrault.
À jardin quelques chaises de camping, et le sol de l'immense scène est tapissé de ce que j'ai cru être des rondins de bois, mais qui est en fait des milliers de pains à hamburger.

La pièce:
Dans Golgota Picnic il y a deux choses distinctes, le texte et la mise en scène. À la fin du spectacle, une grosse partie du public s'est précipitée dans la librairie du théâtre pour acheter le texte. Celui-ci est fait de plusieurs monologues ou poèmes, qui parlent d'expériences individuelles, du cas Jésus, de notre société... Parler de religion dans un pays de culture catholique (France, Espagne, Italie, Argentine...) c'est parler de notre mentalité et de notre façon de vivre. Le message du texte de Rodrigo Garcia est passionnant justement parce qu'il remet en cause des valeurs qui pour la plupart des humains sont acquises. En remettant Jésus en question, il infuse l'idée que les choses pourraient être autre, il met en place une société hypothétique qui n'aurait pas été sclérosée par la notion de péché. Finalement nous réagissons tous de façon automatisée et n'apprenons jamais à nous connaître réellement car ce qui nous est naturel est considéré par la religion et (par extension) la société comme péché.
La mise en scène, 6 acteurs/performers sur un sol tapissé de pains de Hamburger, nous fait passer le message, en le perturbant avec des provocations parfois malines, comme l'homme barbu en robe blanche (Jésus), qui finalement est la jeune fille possédée de l'exorciste, ces vidéos d'anges déchus.... et parfois moins maline car elles nous détourne de l'écoute du texte, le grand écran obnubilant notre attention. (la pièce est jouée en espagnol, et les acteurs ne sont pas toujours très audibles, la plupart du temps on est donc obligé de lire les surtitres) et quand sur le grand écran une bouche mange un hamburger en gros plan, si on est dégouté, il est impossible de lire le surtitre... C'est une mise-en-scène riche, parfois trop riche. L'utilisation de la vidéoprojection très à la mode ces temps-ci empêche à mon avis le contact direct de l'acteur avec le public qui fait la force et la spécificité du théâtre.
Pour en revenir à l'objet du scandale, étant pratiquement inculte en matière de religion et non croyante, j'ai remarqué que ce sont les croyants qui ont toujours besoin de « blasphémer » et qu'une colère tournée vers la religion est le plus souvent l'expression d'un coeur brisé, d'une déception et d'une fascination. La religion catholique est ancienne et riche et toutes les voix peuvent s'exprimer en son sein, si elle était en danger parce que quelqu'un la titille on se demanderait comment elle a pu s'imposer avec tant de force!

La partie finale où Marino Formenti joue nu face à son piano les 9 mouvements des sept dernières paroles du christ sur la croix de Joseph Haydn est comme le yang de la première partie, elle se fait dans l'écoute concentrée de la beauté de la musique religieuse. Cette fin musicale permet au spectateur de penser, de se créer sa propre théorie sur la pièce. Elle permet une connexion intime aux discours et à l'anarchie qui a précédée. La pièce est complexe et passionnante, elle questionne, propose, parfois impose, mais fait son travail de catharsis. Avec ses plus et ses moins, elle est une force de proposition, un théâtre vivant et non sclérosé.
À voir!

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