Des Zombies dans le RER
Épisode 1
Il faisait chaud et Paris
se désertait de ses habitants ordinaires, ils étaient remplacés un
par un, comme dans l'invasion des profanateurs de sépulture, par des
légumes, des haricots géants qui transportaient d'énormes valises
et parlaient fort pour communiquer les uns avec les autres. C'était
tous les ans le même manège et à un moment ou un autre, elle
quittait la ville lumière, trop lumineuse dans la chaleur de l'été, pour s'exporter dans l'ennui métaphysique d'une ville de bord de
mer. Mais cette année il n'y avait pas de repos pour les braves, et
après une année d'hiver sans fin, elle devait rester à Paris pour
travailler, gagner de l'argent ce qui n'arrivait pas, car elle ne
trouvait pas de job. Ses journées consistaient entre quelques
rencontres d'amis et des allers-retours chez Gibert pour vendre
quelques uns de ses bouquins afin de continuer à maintenir une vie
sociale, que l'été allait finir par abolir envoyant tous les gens
qu'elle connaissait dans la dimension vacances. Ou pire l'été
allait s'achever et l'hiver, chaque année plus long, allait emporter
tous les espoirs de repos ou d'accumulation d'argent. Fourmi qui
voulait se préparer à l'hiver, elle était condamnée à jouer les
cigales désargentée pour ne pas rester seule avec sa cabin fever.
Elle était dans la queue
de Gibert avec dans son sac en tissus 5 mangas qu'elle avait acheté
l'année précédente, Ô période faste, 8 euros pièce. Les gens
avaient des faces mornes, il y avait un homme qui avait un caddy plein
de livres d'enfants, ainsi qu'un sac plein de bandes dessinées. Qu'est-ce qui pouvait le motiver à vendre tout cela? Et l'employée
qui refusait de se poser des questions et dont l'interaction avec
celui qui voulait vendre était minimum, rendait au fur et à mesure
les livres à l'homme. Gloria se faisait la réflexion que les
Tintins n'avaient plus de valeur. Quand elle avait vendu des livres
il y a quelques années le libraire lui avait demandé à la place de
ses mangas et de ses persepolis, si elle n'avait pas plutôt des
Tintins et des Cortos Maltese. Elle lui avait répondu que ceux-là
elle ne les vendait pas! Et là chez Gibert l'homme entassait les
Tintins que lui rendait l'employée. Quand ce fût son tour elle eut
droit au même traitement silencieux de la part de son employée. C'était difficile pour Gloria de se dire que ces employés n'avaient
pas de curiosité pour ces gens qui étaient prêt à faire la queue
dans la chaleur pour gagner un peu de monnaie... Quand la jeune-femme
eut pris ses cinq mangas et son disque elle accepta le ticket qui lui
vaudrait 12 euros en espèce, mais avec une sorte de mal au bide...
Les livres qui n'avaient pas de valeur à ses yeux elle n'arrivait
pas à les vendre (personne n'en voulait), elle vendait ceux qui en avait un peu... Ceux qui
n'ont jamais vendus leurs livres pour pallier à une fin de mois
difficile ne sauront jamais ce que c'est que d'être fauché, et avec
12 euros on ne va pas loin. Un jour peut-être elle aurait à vendre
ses trésors, et elle arrivait à imaginer que l'avenir lui soit si
peu clément. Elle disait en riant jaune: " à moins que je finisse mon
roman de science fiction et que j'arrive à le publier".
Elle avait faim et elle
ne pouvait pas entamer sa fortune de pacotille pour un sandwich bien
qu'elle veuille rester intra-muros, alors elle prolongea un peu
l'errance, prenant le chemin des touristes qui mène de Saint-Michel
à Châtelet.
Les voilà, les touristes, ils marchent en groupes, un groupe d'adolescents tous vêtus de
tee-shirts bleus, des américains en short et chapeau à ficelle sous
le menton qui suivent le parapluie refermé de leur guide. Ils sont
partout dans les lieux qui leur sont destinés, ils ne veulent pas ne
pas se définir comme touristes, ils ne veulent pas être perdus, les
touristes ont peur de se perdre, et personne ne leur a dit qu'on ne
se perd pas à Paris.
La Seine est verte entre
les murs en calcite blanc-cassé qui la retiennent. En regardant la
Seine on peut presque croire en la mer, et de l'autre côté de l'ile
de la cité, la circulation sur les berges est coupée et des
ouvriers installent la plage pour les gens comme elle qui ne
partiront pas.
Elle descend dans la
bouche de l'enfer dont on vient de refaire les dents, au dehors le
futur forum est encore une carcasse squelettique, dont la verdure
fait penser aux anciennes halles qu'elle n'a vue que dans les photos
en noir et blanc exposées dans le forum. C'est comme si dans le ventre de
Paris on déterrait les restes du grand dragon. Ce squelette vert, en
plein jour est comme le signe, le signe que la chaleur se chargera de
nous faire oublier le temps. Gloria descend dans la gueule du
monstre, elle passe les portes de l'enfer de la gare d' hoRER où
n'est pas écrit « toi qui entre ici abandonne tout
espoir. ». Descendue au plus profond, sur le quai du RER B
qui se dirige vers le sud, l'affichage a oublié le temps et le temps
d'attente n'est plus mesurable, un à un les trains disparaissent de
l'écran comme s'ils étaient engloutis par un trou noir, et le quai
se noirci d'une foule impatiente.
Tout à coup une femme
hurle: « Mais ça va pas la tête il m'a mordu ce con, mais
vous êtes malade monsieur! » le silence se fait sur le quai et
tout le monde regarde dans la direction des cris. Gloria que la foule
oppresse, sort du RER pour descendre vers le sud de Paris par la
ligne 4.
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